Corona virus : au Cameroun, le HCR se prépare à faire face au « feu de brousse » dans les camps de réfugiés
« Nous avons vécu d'autres épidémies par le passé, nous ferons face »
Dans l'un des espaces communautaires du camp de réfugiés de Gado, à l'Est du Cameroun, une dizaine de femmes se tiennent debout au centre de cercles dessinés à la craie blanche sur le béton, éloignés d'un mètre cinquante les uns des autres. Elles viennent se faire distribuer du savon, et ici comme dans beaucoup d'autres endroits du monde, la distance à respecter entre individus est marquée au sol.
Si aucun cas de Covid-19 n'est encore apparu à Gado ou dans l'un des nombreux sites d'accueil de réfugiés centrafricains au Cameroun, chacun sait ici que la maladie touche indistinctement les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, Camerounais et réfugiés, et bien entendu les humanitaires. Dans l'un des pays les plus touchés du continent Africain, tous se préparent, et adoptent de nouvelles habitudes pour limiter la propagation du virus.
« La vigilance est de mise. Il ne s’agit pas de céder à la panique mais de respecter les mesures prescrites par l’OMS et le gouvernement » rappelle Wahid Ben Amor, Chef de la Sous Délégation du HCR à Bertoua (Est) lors d’une réunion de crise avec les acteurs humanitaires. Nous sommes doublement concernés, d’abord il y’a les réfugiés, qui doivent être protégés ainsi que le personnel des acteurs humanitaire » a-t-il ajouté, soulignant que « la population hôte fréquente les mêmes structures de santé, les points d'eau ou encore les écoles que les populations réfugiées et à ce titre, nous leur portons également assistance »
Au Cameroun, le HCR, l'Agence des Nations Unies pour les Réfugiés, assiste près de 400,000 d'entre eux : la majorité, installés à l'Est du pays et dans les zones urbaines, viennent de la République Centrafricaine. A l'Extrême Nord se dresse également le camp de Minawao, qui abrite plus de 66,000 réfugiés nigérians.
Encore préservés, les réfugiés se préparent à affronter l'épidémie.
Vivant dans des conditions souvent précaires et de promiscuité, tous ont fui la guerre qui faisait rage dans leurs pays respectifs. Ils ont tous perdu des proches, connu la violence, l'exil, la faim, mais ces derniers mois, un bon nombrede réfugiés centrafricains avaient commencé à rentrer chez eux volontairement, à la faveur d'une amélioration des conditions de sécurité. Et voici qu'un nouveau danger aussi meurtrier qu'invisible se profile, menaçant tout particulièrement les plus vulnérables d'entre eux, mettant provisoirement à l'arrêt les rapatriements volontaires.
Depuis le début de la pandémie, le HCR a multiplié les actions pour protéger la population réfugiée et les humanitaires : un peu partout, des points de lavage de mainsont été installés, du savon distribué, des sensibilisations en petits groupes et de porte à porte organisées. A l'Est comme dans le camp de Minawao à l'Extrême Nord, ce sont les réfugiés eux-mêmes qui ont été mis à contribution pour confectionner des masques lavables, afin de parer au manque d'équipements de protection.
Un numéro vert a également été mis en place afin de répondre aux inquiétudes des réfugiés. Accessible 24 heures sur 24 et dans toutes les langues parlées dans la région.
« On sent que le message passe bien. Lorsque nous arrivons dans les sites, ni les hommes, ni les femmes ni les enfants ne nous tendent plus la main comme à l’accoutumée », explique Sally Haoua, fonctionnaire du HCR à l'Est Cameroun. Dans les centres de santé également, les « gestes barrière » entrent dans les habitudes : « Les gens se tiennent à distance les uns des autres, ils portent des masques autant que possible et font passer le message », note un personnel médical du centre de santé de Lolo (Est).
Dans cette région du monde, où les réfugiés vivent dans de petits abris faits de terre séchée et de bois, il est difficile d'envisager un confinement, mais pour éviter les contacts, ils font au mieux pour rester chez eux ou pour aller travailler aux champs en famille, loin de la promiscuité des camps.
Mais à l'Est comme dans le camp de Minawao à l'Extrême Nord, l'inquiétude est bien là : « Aujourd’hui, nous sommes plus de 66 000 réfugiés nigérians vivant à Minawao, imaginez un peu qu’en plus de nos difficultés que le Covid-19 atteigne notre camp… pour moi cette situation est comme un feu de brousse qui avance sans que l’on puisse faire quelque chose pour l’arrêter. Au niveau de mon ménage je respecte les règles de prévention, mais nous comptons aussi beaucoup sur la protection de Dieu », explique Ali Shouek, qui a trouvé asile dans cette partie du Cameroun après avoir fui les violences de Boko Haram.
Non loin de là, se tient Grace Yahya, présidente des femmes réfugiées du camp. Depuis plusieurs semaines, elle est engagée dans la prévention. Car dans un camp où rares sont celles et ceux qui possèdent des radios, et où les télévisions sont inexistantes, la prévention se fait de porte à porte, ou à l'aide de haut-parleurs : « En tant que leader des femmes réfugiées, j’ai la lourde responsabilité de passer le message auprès des femmes. De plus, je dois montrer l’exemple ce qui implique le fait que la sensibilisation commence dans ma propre maison »
Dans les zones urbaines comme à Yaoundé, les réfugiés urbains ne sont pas épargnés. Un premier cas a déjà été recensé en avril, et dans une communauté si fragile, beaucoup craignent la propagation du virus : « vu la promiscuité dans laquelle vivent les réfugiés urbains, je ne suis pas en mesure de me protéger et encore moins de protéger ma famille. (…) Pour se laver les mains il faut de l'eau et du savon. Mais avec les coupures d'eau dans la ville, cela va être difficile. Pour avoir une bonne hygiène il faut des moyens », s'inquiète Rodrigue*, jeune père de famille originaire du Tchad.
« Nous avons vécu d'autres épidémies par le passé, nous ferons face »
Joseph Beyongolo est un homme de terrain. Depuis onze ans, il a sillonné la plupart des opérations d'urgence du HCR au Cameroun, et s'apprête comme tant d'autres humanitaires à faire face au coronavirus : « Une épidémie ne se passe jamais bien, c'est toujours un drame humain. Mais nous avons vécu d'autres épidémies par le passé, nous ferons face à celle-ci. Ces dernières années, nous avons dû faire face à plusieurs crises liées au choléra. Dans la pratique, nous savons comment mettre en place des mesures de prévention, de détection, d'isolement et de traitement. S'il est vrai que cette situation est d'un genre nouveau, nous avons toute de même une expérience solide, et en travaillant main dans la main avec les réfugiés, nous ferons tout pour en limiter les conséquences ».
Et déjà, alors qu'aucun cas n'a pour le moment été recensé en zone rurale, les équipes de terrain sont à pied d'œuvre : « Nous sommes actuellement en train de mettre en place un système de quarantaine pour toute personne venant d'un foyer actif et avons formé le personnel soignant qui travaille dans les structures de santé prenant en charge les réfugiés », explique le docteur Benoit Kayembe, point focal en charge de la réponse au COVID-19.
Déjà, aux alentours de plusieurs sites, des constructions préfabriquées voient le jour, en préfiguration des premiers cas suspects, ainsi que des zones particulièrement aménagées pour les personnes les plus vulnérables.
« Le point crucial, c'est le dépistage. Pour le moment, cela prend encore beaucoup de temps pour réaliser les analyses nécessaires car les échantillons doivent être envoyés dans des laboratoires éloignés de nos zones d'intervention. C'est la raison pour laquelle nous sommes en train d'évaluer les laboratoires régionaux afin qu'ils puissent très bientôt faire du dépistage. Ainsi lorsqu'un cas suspect sera détecté, le patient pourra être mis en isolement, et une équipe d'intervention rapide pourra être dépêchée sans délai pour effectuer les prélèvements et analyses nécessaires. Si le cas s'avère positif, alors il sera référé à l'hôpital de district le plus proche pour être pris en charge », souligne-t-il.
« Stay and deliver »
Malgré les contraintes, qui forcent nombre de membres du personnel du HCR à travailler depuis leurs domiciles, le mot d'ordre du Haut-Commissaire du HCR, Fillipo Grandi, est clair : « stay and deliver », autrement dit, les services que propose l'agence aux réfugiés doivent être maintenus autant que possible. C'est notamment le cas pour l’enregistrement des réfugiés qui continuent de fuir leurs pays d'origine et qui viennent chercher asile et protection au Cameroun.
A l'Extrême Nord par exemple, « Tout en mettant en place des mesures sanitaires strictes, le HCR continue d'offrir protection et assistance et à enregistrer les nouveaux cas par téléphone », explique Mylène Ahounou, Chef de la Sous-Délégation du HCR à l’Extrême Nord.
Dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, durement affectées par une crise qui oppose mouvements séparatistes et forces de sécurité, le mot d'ordre est le même : les activités doivent se poursuivre pour porter assistance à près de 680,000 déplacés internes que les violences ont poussé à fuir hors de chez eux.
Au Nord-Ouest, « nous intensifions actuellement notre communication avec les communautés dans les zones reculées et établissons de grands réseaux communautaires de protection qui seront utiles pour le partage d'informations sur COVID-19, la surveillance à distance et les services aux communautés », explique la Cheffe du Bureau du HCR à Bamenda dans le Nord-ouest, Tanja Kale. Le Nord-ouest est la dernière région à avoir enregistré un nouveau cas de Covid-19, ce qui porte le nombre total de régions touchées dans le pays à 09 sur 10 en tout.
* Le nom a été modifié par souci de protection.