Cameroun : autour du maïs, réfugiés et camerounais s’associent pour gagner leur autonomie
Ce maïs que les deux hommes récoltent ensemble est un symbole du choix qu’ont fait les deux communautés : celui de vivre et de se développer ensemble.
Ouro-Souley, Adamawa. Depuis le lever du soleil, quelque part le long d’un cours d’eau qui marque la frontière avec la RCA et le Tchad, on n’entend plus que les crissements des plants de maïs secs, dont des dizaines de personnes, hommes et femmes, camerounais et centrafricains, s’évertuent à ôter les épis mûrs. Au fur et à mesure que le soleil monte dans le ciel, le travail devient de plus en plus difficile, en ce début de saison sèche où la chaleur accable les travailleurs.
A la main, dans une ambiance bon-enfant, on défriche et on avance dans le champ. Les épis se passent de main en main, sont jetés dans des sacs de jute évacués au fur et à mesure. Si l’ambiance est particulièrement joyeuse aujourd’hui, c’est qu’un petit miracle s’est produit récemment : un acheteur s’est engagé à prendre toute la récolte, à meilleur prix que ce qu’il est possible d’obtenir habituellement sur le marché. L’entreprise s’appelle MaisCam et elle est la plus grande usine de transformation de maïs du pays.
Aujourd’hui, une petite équipe du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, accompagnée de partenaires de la Lutheran World Federation (LWF), a fait le déplacement pour rencontrer ces petits producteurs qui redoublent d’ardeur au travail, comme pour montrer qu’ils sont prêts à travailler dur pour honorer le contrat. A la clé, pour ces réfugiés et leurs amis camerounais, il y a la garantie d’un revenu et la fin de la dépendance à l’aide humanitaire.
Acheminés à dos d’hommes, les lourds sacs sont déposés dans une petite pièce où les batteurs commencent à les frapper à l’aide de gourdins, avant d’égrainer à la main chacun des épis, qui seront ensuite stockés à l’abri avant d’être acheminés vers l’usine de MaïsCam, située en bordure de Ngaoundéré, principale ville de l’Adamawa.
Un marché stable pour des besoins réels.
« Ici, nous transformons en moyenne 120 tonnes de maïs par jour, l’essentiel de la production étant destinée aux brasseries du Cameroun, et une bonne partie à destination du Programme Alimentaire Mondial (PAM) à qui nous fournissons de la farine fortifiée », explique Rodrigue Tchana, le directeur d’exploitation, autour de laquelle s’étendent 5000 hectares de champs.
« Ce que nous produisons nous même représente 50% de ce que nous transformons. Nous avons donc besoin des cultivateurs pour nous fournir les 50% restants en maïs. Le besoin est réel car il nous est même parfois difficile de fournir nos clients. Ce que peuvent nous fournir ces petites exploitations est donc toujours bienvenu pour nous », explique Rodrigue, à l’ombre d’immenses silos à grain en dessous desquels, dans l’usine, quelques travailleurs remplissent des sacs estampillés ‘MaïsCam’ de farine, de gritz ou de provenderie.
Et si les tous petits producteurs, qui vivent dans des villages reculés et souvent isolés, n’ont que rarement accès à ce marché, c’est qu’il faut toute une chaîne logistique pour amener le fruit de leur labeur jusqu’à l’usine. C’est la raison pour laquelle la petite coopérative de Ouro-Souley ne vendait jusqu’à présent que sur les marchés, victimes d’une fluctuation permanente des prix, et perdant parfois leurs récoltes qui, stockées trop longtemps dans de mauvaises conditions, étaient sujettes à n’importe quelles intempéries.
A quelques encablures de là, El Hadji Mohamadou Ousmanou Abbo sourit à ses convives. Dans son somptueux et très célèbre ranch de Ngaoundéré, il accueille ses invités en parlant de son grand âge et de la force qui le quitte. Mais lorsqu’il s’agit de parler affaire, le corps fatigué laisse la place à un esprit affuté. L’histoire de l’homme d’affaires est célèbre au Cameroun : c’est celle d’un orphelin qui n’est pas allé à l’école, et qui a été tour à tour forgeron, cordonnier, tailleur, chauffeur, mécanicien, avant de se lancer dans le commerce et de bâtir un empire.
« Et ces réfugiés, ils récoltent à la main ? C’est un métier pénible. Très pénible », commente El Hadji Abbo, avant d’expliquer : « J’ai besoin d’acheter pour transformer. Et j’encourage les cultivateurs autant que possible. Alors nous pouvons commencer par de petites quantités, et petit à petit nous grandirons ensemble ».
Pour cette phase pilote, 200 réfugiés ont convenu de commercialiser 80 tonnes cette première année. « C’est petit. Je pourrai prendre beaucoup plus si je suis livré à temps et que le travail est bien fait », garantit l’homme d’affaire, ému par le sort des réfugiés. Lui-même a été très touché par les différentes guerres que sa longue route a croisé, notamment au Tchad et au Nigéria.
L’autonomie, ensemble.
A Ouro-Souley, assis à l’ombre d’un haut vent, les « vieux » du village discutent entre eux autour d’un thé sucré. Il y a là le chef de village, Abdoulaye Yougouda, mais aussi Adoum Djabir, le chef des réfugiés venu ici il y a plus de quatre ans maintenant, alors que la guerre faisait rage en République Centrafricaine. Depuis lors, le petit village a plus que doublé de taille : « Aujourd’hui, nous comptons 390 réfugiés pour 324 ressortissants camerounais. Nous leur avons fait de la place et donné du terrain c’est certain. Mais nous sommes +du même pied+, nous travaillons ensemble, et avec le temps, nous sommes devenus de la même famille », explique Abdoulaye.
Ce maïs que les deux hommes récoltent ensemble est un symbole du choix qu’ont fait les deux communautés : celui de vivre et de se développer ensemble. En s’affranchissant de l’aide humanitaire, ils ne se présentent plus comme des demandeurs, mais comme des entrepreneurs, des producteurs et des consommateurs, une entreprise qui n’aurait sans doute jamais pu voir le jour s’ils n’avaient fait le choix de la cohabitation.
« Au tout début, c’était difficile. Il n’y a pas beaucoup de ressources ici alors quand nous sommes arrivés il y a eu des conflits entre nous et les camerounais. Mais aujourd’hui je peux dire que je suis chez moi, vraiment chez moi. J’en oublierai presque la vie d’avant », explique Mariam Adom, 28 ans, arrivée seule ici avec ses deux enfants après que son mari a été tué par balle à Bocaranga durant la guerre. Aujourd’hui, ils ont sept et quatre ans. A l’époque où ils ont passé la frontière, le petit deuxième n’était qu’un nourrisson.
Mariam a une voix assurée, posée. Elle ne cherche jamais ses mots, on la sent parfaitement à l’aise. A la voir sourire, on devine les trésors d’abnégation, de courage et de résilience qu’il lui a fallu inventer pour prendre soin de ses enfants, affronter la vie et s’inventer un nouveau destin.
Pas de charité, du business.
Dans les régions du Nord, de l’Est et de l’Adamaoua vivent encore près de 272,000 réfugiés centrafricains. Depuis quelques semaines, plusieurs milliers d'entre eux ont déjà fait le choix du retour dans leurs régions d’origine, lorsque les conditions de sécurité le permettent. Mais pour beaucoup d’autres, le temps du retour n’est pas encore venu, et face à une aide humanitaire qui s’amenuise d’année en année, l’autonomisation est devenue une priorité absolue.
« Ce que le HCR a fait dans cette opération, c’est simplement de faciliter la mise en relation de tous les acteurs du système de marché du maïs. Nous avons mis en relation les producteurs avec les grossistes, les transporteurs, et enfin l’acheteur. C’est un circuit dans lequel chacun gagne sa marge, et qui n’aura pas besoin de l’intervention du HCR ou des humanitaires pour perdurer. Dans un avenir proche, ces petits producteurs seront parfaitement autonomes et auront toute leur place dans l’économie locale », explique Yves Amoussougbo, en charge du projet pour le HCR au Cameroun.
Pour Kouassi Lazare Etien, le Représentant de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, « Souvent l’on considère l’humanitaire comme un simple métier d’urgence. Mais notre travail ne consiste pas uniquement à protéger les réfugiés lorsqu’ils arrivent dans un pays d’accueil, à leur fournir un abri, des soins, de l’eau et de la nourriture. Notre travail c’est également de trouver des solutions durables, de faire en sorte qu’ils puissent vivre dignement, en harmonie avec leurs hôtes, et qu’ils puissent au plus vite devenir autonomes pour contribuer pleinement à la vie économique de leur pays d’accueil. Avec ce projet, nous espérons faire la démonstration que les réfugiés ne laissent pas nécessairement une empreinte négative, mais qu’ils sont également source de richesse et de développement là où ils s’installent ».