Fadimatou ou le courage de rêver grand
Fadi, fait partie de ces jeunes filles privées d’école par la guerre dans les régions anglophones du Cameroun.
Il pleut des cordes ce midi à Bankim urbain. Le marché a l’allure fantôme d’une cité abandonnée sur ses étals de bois vieilli. Quelques commerçants ont bravé les trombes d’eau célestes pour proposer de la farine, des pommes de terre ou des épices. Au bout d’une allée de hangars inondés. Une maison sans peinture. Il faut traverser une rigole d’eaux usées pour accéder à la porte de bois rongée par les mites. A l’intérieur, une pièce plutôt vaste, sans meubles, juste dotée d’un lit de bambou surmonté d’un matelas. Des assiettes sales trainent près de la porte. Trois marmites noircies nous regardent, vides, sèches. Fadimatou n’a rien cuisiné aujourd’hui. La pluie l’a dissuadée de vendre ses plats de gombos accompagnés de couscous de maïs. Elle est assise sur le lit près de sa mère qui allaite son dernier petit frère, l’air distrait. « Je n’ai pas pu vendre aujourd’hui à cause de la pluie. Je ne sais même pas ce qu’on va manger mais bon, on est tous habitués à la faim » nous dit fadimatou. C’est l’ainée de la maisonnée de 9 enfants.
Fadimatou a 21 ans et un caractère de leader né. C’est elle qui ordonne de nous trouver des sièges ; Discipline la marmaille d’enfants éparpillée dans la pièce. Son anglais est fluide, soigné. Elle dégage un charisme naturel surprenant dans ce décor insalubre. De grands yeux vifs rehaussent sa peau noire de jais. Sa famille vient de Bali Nyonga, une ville Nord-Ouest Cameroun au climat doux et aux terres fertiles. «On avait une jolie maison en dur et des champs à cultiver. J’allais au lycée et papa faisait son petit commerce. On ne demandait rien à personne ». C’était avant la crise anglophone. Avant que des factions ne se créent au Nord-Ouest et au Sud-Ouest du Cameroun pour exiger la sécession. Bien avant que ne naissent les amba Fighters, ces groupes armés déterminés à transformer la zone anglophone du pays en République d’Ambazonie. Avant surtout que l’armée camerounaise n’envahisse les deux régions pour protéger son territoire. Bali-Nyonga s’est très vite retrouvée sous les tirs nourris entre armée et amba fighters. « Nous avons dû fuir il y a quatre ans. C’était devenu invivable. On entendait des coups de feu tous les jours pendant plusieurs heures. L’école a fermé. Maman a même fait une fausse couche à cause du stress. Un soir, ils ont brulé notre maison ». Sans abris, la famille prend la route, juste munie d’un matelas que le père étale à même le sol pour négocier quelques heures de sommeil dans les rues glacées. Ils décident de migrer vers des zones plus calmes. Premier arrêt à Bafoussam, dans l’Ouest du Cameroun. Mais la vie y est trop chère et le loyer est intenable. Alors ils poursuivent à Bankim, à trois heures de route de là.
Une fille mariée c’est une bouche en moins
Sur place, la famille trouve un toit et s’organise pour vivre. Mais face aux conditions de vie précaires, le père de Fadimatou décide de la marier à une connaissance. « J’étais surprise. C’est pourtant lui qui m’encourageait à aller à l’école. Mais comme je ne pouvais rien faire, j’ai juste gardé le silence » nous raconte Fadimatou. Elle était pourtant à deux doigts de décrocher son diplôme et son admission à l’université quand la guerre s’est amplifiée. Son père a dû quitter la maison pour s’installer à Douala, la capitale économique. De là-bas, il leur envoie de l’argent de temps en temps. « Il n’a pas jugé bon de me réinscrire à l’école parce que j’ai beaucoup de petits de frères et il n’a pas assez d’argent pour inscrire tout le monde. Il est plus facile de me marier. Je serais sous la responsabilité de quelqu’un d’autre et ça lui fera une bouche en moins». Alors Fadimatou épaulait sa mère à Bankim en attendant son mystérieux mari jusqu’au jour où elle attire l’attention du Réseau Communautaire de Protection de l’Enfance. Mis sur pied par FAIRMED, le Recope est un ensemble de personnes chargées d’aider les enfants déplacés internes. Magloire, le travailleur social du projet UNICEF — FAIRMED, est frappé par la vivacité d’esprit de Fadimatou. Il découvre alors une famille complètement démunie et sans ressources financière fixe. « On mange une seule fois par jour. Maman et moi on vend tout ce qu’on voit. Les enfants ramassent des bouteilles usées, les lavent pour les revendre. D’autre prêtent main forte dans les chantiers etc. ça nous permet juste de payer le loyer » se plaint Fadimatou.
Un club pour rêver grand
A Fairmed, Fadimatou rejoint le club des adolescentes. Chaque dimanche, le bureau du projet UNICEF, à Bankim, reçoit des dizaines de jeunes filles déplacées interne pour des causeries éducatives. « On leur donne des cours d’éducation sexuelles et de santé de reproduction pour éviter les grossesses précoces. On sensibilise aussi sur les méfaits des stupéfiants et l’importance de s’instruire » explique Magloire. Au début, Fadimatou est timorée et ne s‘implique qu’à distance. « J’étais comme un fantôme sur pattes. Je savais que ma vie était finie et mon destin scellé. J’attendais juste mon mari. Il m’a redonné espoir et j’ai réalisé que je pouvais aspirer à mieux, malgré notre situation actuelle » s’extasie-t-elle. Entre deux modules sur la confiance en soi, Fadimatou trouve le courage de refuser, de dire non au mariage forcé et d’exprimer son besoin de retourner à l’école. A ses côtés, FAIRMED se fait la voix du plaidoyer. « Magloire m’a aidée à dissuader mon père il n’a pas insisté. Il a juste dit que je devrais payer mes études moi-même ». Alors Fadimatou multiplie les petits jobs ; de serveuse à revendeuse de vêtements et liqueurs. Elle a déjà repéré l’école qui épousera ses ambitions. Un lycée privé doté de laboratoires pour explorer les voies de la science « J’ai trop de rêves. Je ne peux pas me condamner à vivre les mêmes souffrances que ma mère. Je veux faire un baccalauréat scientifique pour devenir médecin. Il me faut trouver environ 100.000 francs CFA pour m’inscrire». Ce n’est pas gagné. Au contraire, la somme représente une vraie fortune dans une ville quasi rurale, peuplée de paysans, pêcheurs et éleveurs.
Un fond à l’hôpital pour soigner Soraya
Le projet Unicef ne couvre malheureusement pas les besoins de scolarisation, ni même de nutrition. Mais l’équipe FAIRMED se démène pour soutenir la famille de Fadimatou. « Ils nous aident beaucoup. Ils nous apportent régulièrement du savon et des denrées alimentaires. Grâce à eux, ma fille a repris gout à la vie. Je retrouve ma brillante fadi. Elle a cessé d’errer dans la ville pour se concentrer sur ses ambitions » déclare la mère de Fadimatou dans un pidgin hésitant. Mais son esprit est ailleurs. L’une de ses filles n’a pas quitté le lit depuis deux jours. Devant nous, la petite Soraya se lève pour vomir longuement dans la rigole de l’entrée. « Elle est malade. Je n’ai rien pas un seul franc pour l’emmener consulter» murmure tristement sa mère. Magloire lui glisse quelques billets dans le creux de la main en lui recommandant tout de même de conduire Soraya à l’hôpital de District de Bankim. Sur place, La petite pourra être prise en charge gratuitement par le Fond de solidarité financé par FAIRMED pour garantir les soins d’urgence aux indigents.
La pluie s’est tue pour laisser murmurer un vent doux. Le marché est plus animé qu’à notre arrivée. « Merci Beaucoup tonton Magloire. Bonne route » Crie Fadimatou dans un signe d’au revoir. Nous sortons de là, les émotions entrelacées ; partagés entre plaindre la précarité de cette famille, et louer la détermination de Fadimatou à réussir sa vie pour sortir de la pauvreté.