Assise au milieu d’une salle de classe, dans le brouhaha qui précède l’heure de cours qui va bientôt démarrer, Emi plaisante avec deux copines. Elle a un visage aux traits particulièrement délicats, encadré d’une paire de lunettes à la monture fine. Vêtue d’un polo d’uniforme, elle ne se distingue pas des autres élèves. Elle fait très jeune, plus que son âge sans doute. A la voir ainsi sourire on peine à imaginer la violence du parcours qui l’a amenée jusqu’ici.
Dans ce centre de formation professionnelle tenu par une paroisse de Douala, étudient de nombreux élèves venus apprendre les métiers de la puériculture, de la restauration, de la gestion ou encore de la bureautique.
Parmi eux depuis peu : 14 jeunes filles venues des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, en proie à des violences qui opposent l’armée et des groupes séparatistes. Dans la capitale économique du Cameroun, ils seraient environ 80.000 selon l’Organisation Internationale pour les Migrations à avoir trouvé refuge. Dans le jargon humanitaire, on les appelle « personnes déplacées internes » ou encore « PDI », une étiquette que n’aime pas beaucoup Emi.
« Ce n’était pas vraiment facile »
Agée de 23 ans aujourd’hui, les violences qui ont éclaté autour de son village l’ont contrainte dès 2018 à chercher refuge loin de la maison de son père. Lorsqu’elle évoque son itinéraire, son sourire disparaît, ses yeux fixent un point imaginaire, et le ton de sa voix devient monocorde. Son récit est ponctué d’un petit commentaire, qu’elle répète régulièrement : « ce n’était pas vraiment facile ».
Le viol que lui a fait subir « un ami de la famille » chez qui elle avait trouvé refuge à donné naissance à un enfant aujourd’hui âgé de 3 ans, et que les proches de son bourreau sont venus lui arracher des bras : « la mère de cet homme est venue et m’a enlevé mon petit garçon, c’est comme cela que je me suis engagée chez les Ambazoniens » comme on appelle parfois le mouvement séparatiste.
Guidée par sa souffrance et son désespoir, Emi décide d’apprendre à se battre pour se défendre. Elle n’épouse pas les idées du mouvement rebelle et ne combattra jamais, mais espère pouvoir y trouver la force d’aller récupérer elle-même son enfant, sans imaginer dans quelles conditions d’extrême violence va se retrouver.
« Je pleurais du matin au soir. Et je me suis dit : +tu ne changeras pas ta situation avec des larmes+, alors j’ai rejoint les Ambazoniens pour me venger de ce qui m’était arrivé. Ce n’était pas pour combattre. Quand je suis arrivé là-bas ils m’ont tout appris, mais très vite j’ai réalisé que ça n’avait aucun sens. Et puis un soir, l’armée a attaqué le camp, alors que pour une fois je n’y dormais pas », explique t-elle sans plus de détails.
Elle prend la décision d’abandonner son projet et de gagner Douala où elle sera un temps exploité par une famille peu scrupuleuse, avant de rencontrer Sœur Carole, du Jesuit Refugee Service (JRS), qui lui offre un toit et une communauté pour se reconstruire. En quelques années, c’est toute son existence qui a été ébranlée. De traumatismes en traumatismes, Emi sait qu’il lui faudra du temps, peut être beaucoup, pour retrouver la sérénité : « Je sais que dans la vie tout le monde vit des épreuves. Mais je suis trop jeune pour avoir vécu tout cela ».