Au pas de gymnastique, en rang deux par deux, une petite troupe serpente sur la vaste étendue déserte, soulevant la poussière de leurs pieds nus. Ce début de saison sèche marque le retour des jours poussiéreux et de la lumière aveuglante, si caractéristique de l’Extrême-Nord du Cameroun. Nous sommes en début d’après-midi dans le camp de réfugiés nigérians de Minawao et la chaleur écrasante n’empêche pas l’équipe de se rendre à l’entraînement : la vingtaine de jeunes filles qui forment l’équipe de foot féminine du camp ne raterait pour rien au monde ce moment.
Aujourd’hui est un jour singulier, et si l’animation est plus vive encore que d’habitude, c’est parce que les filles s’apprêtent à vivre un moment qui restera longtemps dans leurs mémoires. Un moment suspendu dans le temps, loin du camp.
A Garoua, troisième ville du Cameroun située à 4 heures de route de Minawao, se jouera dans deux jours le match opposant l’équipe du Nigéria à celle du Soudan dans le cadre de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) que le Cameroun héberge cette année. Pour ces jeunes filles au passé parfois tragique et au quotidien souvent difficile, la Confédération Africaine de Football a décidé d’ouvrir gratuitement les portes du stade.
« C’est une opportunité que nous ne pouvions pas louper », s’enthousiasme Olivier Beer, le Représentant du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés au Cameroun.
Pour les jeunes filles, qui n’ont pour la plupart jamais quitté Minawao, l’installation à l’hôtel à Garoua est déjà un évènement : une chambre simple, un lit, une douche. Chacune savoure ce moment de confort inattendu en s’imaginant déjà l’arrivée au stade le lendemain matin. Ce soir-là, l’Ambassadeur du Nigéria les reçoit et leur offre des maillots de supporters. L’excitation monte.
« Elles n’ont pas l’air de réfugiées »
Le lendemain, pandémie oblige, tout le groupe se retrouve face au stade pour l’inévitable test rapide. Des curieux se demandent déjà d’où vient la joyeuse troupe qui prend la pose pour la photo. « Des réfugiées ? Elles n’ont pas l’air de réfugiées… », commente une commerçante. L’équipe n’est ni triste, ni misérable. Les filles ressemblent à n’importe quelles filles de leur âge, et sans même s’en rendre compte, elles cassent les clichés. La seule chose qui les distingue aujourd’hui de la foule anonyme, c’est l’enthousiasme qui les anime.
La suite de la journée tient ses promesses : dans les tribunes du stade, elles ont déroulé une longue banderole qui ne passe pas inaperçue : « Minawao refugees for the super eagles ! » Parmi les spectateurs, elles se font vite remarquer des photographes et des influenceuses qui viennent prendre un selfie avec la troupe, jusqu’à ce qu’à la fin du match, le plus inattendu ne se produise : une officielle de la CAF leur propose de descendre sur la pelouse. Le moment est magique. L’équipe du Nigéria vient de remporter le match 3 – 1, le stade est déchaîné et sous les applaudissements du public, les filles descendent sur le terrain en agitant leurs drapeaux verts et blancs.
Touchés par le spectacle, le Président de la CAF Patrice Motsepe, et son Secrétaire-Général Véron Mosengo viennent à leur rencontre pour les saluer. Le temps d’une photo.
Demain matin à l’aube, elles rentreront à Minawao : « Quand il y a des matchs à la télé, les filles n’ont jamais le droit de les regarder, ce n’est que pour les garçons. J’ai hâte de rentrer pour leur dire que nous, on l’a vécu en vrai », s’exclame Saratu, plus enthousiaste que jamais.
C’était juste un match de foot, qui ne changera pas grand-chose au quotidien des 70,000 réfugiés nigérians qui vivent à Minawao depuis que les violences secouent le Nigéria voisin. Mais pour l’équipe et ses entraîneurs, le message est passé : réfugiées ou non, filles ou non, ont droit aussi au divertissement.